Petite histoire d’un champion du monde

Thierry DELARUE  nous raconte comment il est passé de falaisiste à champion du monde handi AL2 en quelques mois :

Merci à l’USCagnes Escalade et à Val de Grimpe, au Vésubia Mountain Park et à Chullanka.

« Allez viens, passe boire un verre à la maison ! »
C’est cette phrase qui changea le cours des 5 mois suivants.

Nous sommes en avril 2018, une mousse à la main, j’explique à Sylvain que maintenant, je me demande plus sérieusement si j’ai envie de faire un peu de compétition.
En effet, je viens d’être licencié de mon travail pour inaptitude physique (!) et sans aucun reclassement possible (!!) de cette grande multinationale de la grande distribution d’articles de sports.

Depuis 2010, tout le monde me tanne pour que je participe aux compètes handi, mais les deux pieds sur le frein, je trouve que tous nos handicaps sont tellement différents, qu’il est impossible de se mesurer équitablement et que ça n’a donc pas lieu d’exister. Et puis juste grimper entre potes ça me va bien!

Mais là j’ai du temps et me viennent les infos suivantes: un espagnol aurait fait un 8b sur une jambe, un autre un 7c+ à vue et un français un 7C bloc! Ceci m’émoustille un peu et je me dis qu’une nouvelle expérience est toujours bonne à vivre…

Voilà pourquoi Sylvain, ce soir-là me dit :
-Si tu veux, je peux t’inscrire aux départements de ce week-end à Bréa, comme ça tu verras si ça te plait.
– Heuuu mouais, laisse-moi réfléchir un peu…
Le lendemain j’avais déjà mon numéro de licence et mon inscription validée. Tout le monde connait son efficacité!

Me voilà concourant 3 jours plus tard sur de la résine, que je n’avais plus touchée depuis de nombreuses années!
Une ambiance particulière, des gens que je ne connais pas ou peu, du stress en pagaille, la grimpe en tête, un style et un effort de grimpe bien loin de mes falaises… Un peu déboussolé le gars. La preuve en est quand Oli, lors de la lecture de la voie de finale, me dit : « Regarde là-haut derrière le volume, y a des petites prises cachées. » Je le remercie et quelques instants plus tard, avec mon cerveau défaillant de vieux papy, j’oublie complètement ces réglettes pourtant devant mon nez!!
J’arrive quand même bien content sur la deuxième marche du podium.

Avoir participé à cette épreuve me permet de faire les régions. Je me pose vraiment la question, quant au niveau des voies, des concurrents et surtout quant à mon stress incontrôlable.
Allez, je continue!
Je passe le mois d’avril à Bréa et Val de Grimpe, sympathisant de plus en plus avec les membres du club. C’est motivant. Mais mon niveau reste figé et le doute s’installe…

Mai. Marseille. Championnat régional.
La première voie passe. La deuxième, une dalle aux placements pour bipèdes me donne des bouteilles d’un autre monde. Cerise sur le gâteau, on m’appelle à peine 7, 8 minutes plus tard pour aller dans la voie 3 !
J’enfile vite ma prothèse, fais mon nœud et le montre à la juge qui plutôt que de vérifier tapote avec le doigt sur sa montre comme si j’abusais ! Malgré ma grimpe poussive et complètement daubé, je passe en finale. Où je terminerai quand même troisième, poussé par les hurlements guerriers des cousins marseillais.
Fin des épreuves valides.

Après département, après région, la logique veut que je me présente au championnat de France… handi cette fois.
Ouais, faut pas pousser, en valide les qualifs se situent aux alentours du 8b !

9 juin. Je monte à Arnas avec Prune et… Christopher! Le well known Christopher le speaker!
Alors là, palabres à la montée, palabres à la descente, un speaker quoi!
Il nous parle de son métier, de tous ces grimpeurs qu’il suit, les p’tis jeunes et les crucruches! On aime à l’écouter et on ne voit pas le temps passer…
Quoi? C’est ton anniversaire?! Tes 40 ans?!! Mais t’inquiète, je vais m’occuper de ton cas au micro!
Là-bas je passe les qualifs, bien tracassé du ciboulot. Puis j’essaie de me détendre en regardant les demi des valides. Quel spectacle, j’ai les mains trempées !
Mais le lendemain en isolement, le stress se fait bien plus intense, j’ai le cœur à 200, mal à la tête, pas faim, pas dormi.
Je ne monte pas très haut en finale mais cela suffit pour le podium. Je crois que nous n’étions que 2 en catégorie amputés !
Suite à ce résultat Sébastien Gnecchi, sélectionneur de l’équipe de France handi, me propose d’entrer dans son groupe. Encore bien trop tendu, me remémorant les dernières 72h de stress et conscient qu’il ne peut y avoir de plaisir dans ces conditions, je lui fais part de mes réticences.
Il me dit que tout le monde se met dans des conditions semblables et me laisse 3 semaines pour digérer l’évènement.

Il me rappelle donc et me propose un stage avec toute l’équipe handi fin juin.
C’est ce stage qui me décidera à continuer. Bonne ambiance, on s’est mis de grosses tartines de grimpe à Lumini. Une vraie envie de grimper sur mur et de progresser dans ce style.
Bréa, La Boite à Grimpe, Arnas, Lumini, le Vésubia… et bientôt le mur de Briançon…
Un gamin dans un bac à sable!

Juillet à Briançon.
Je dois dire que l’étape de coupe du monde de Briançon a été ma préférée. En effet, vue la proximité et le fait que ce soit l’été, une belle brochette d’amis est venue en mode pom-pom girls !
Cerise sur le gâteau, mes parents sont là. Ils rencontrent mes amis et découvrent dans quel univers je suis depuis tant d’années.
Ils ne seront pas venus pour rien, je remporte l’épreuve. Vainqueur d’une coupe du monde, ils n’en reviennent pas. Ma mère me prendra le mains les regardant, les palpant et me demandera : « Mais qu’est-ce qu’elles ont de particulier? Qu’est-ce que j’ai fait ?!! » C’est une belle revanche sur ce qu’il m’est arrivé des années en arrière… Voilà pourquoi je fais de la compétition. Dans ma tête maintenant c’est clair.

La date du voyage est bloquée : du 10 au 16 septembre j’irai à Innsbruck pour les championnats du monde!
J’ai hâte de voir toutes les stars de l’escalade, de grimper dans ce complexe immense, de revoir l’équipe, de m’imprégner de l’ambiance…
Tout ça sera à la hauteur, voire bien plus : c’est impressionnant! Mais pourquoi on n’a pas ça dans le 06 ? La population grimpante y est imposante, le Mercantour à côté, l’Italie à 2 pas, et puis c’est quand même la French Riviera non ?!
Quel prestige ce serait et surtout à l’heure où l’escalade devient Olympique.

Ce qui m’aura touché le plus finalement pendant ce championnat, c’est de voir tous ces gens, avec des handicaps énormes, se dépasser, s’accepter. Le regard des gens peut être difficile à supporter dans la vie courante, mais là, tout le monde se montre, sans réticence aucune. C’est émouvant. Un évènement comme celui-ci permet de s’accepter tel qu’on est. Freiné ou même en échec dans le traintrain du quotidien, le handicap à cette occasion peut mettre une personne en valeur.
Mon collègue de chambrée à l’hôtel s’est confié lui aussi, on a eu le temps en une semaine… Malgré sa vie difficile, les conséquences de son accident, l’épée de Damoclès qu’il se coltine, c’est l’escalade qui l’aide à tenir bon, il aime se mettre la trash à l’entraînement ! Et la famille aussi bien entendu. Voilà des rencontres qui ne laissent pas indiffèrent, ma gorge se sera serrée plus d’une fois là-bas…

Mais on aura vraiment bien rigolé aussi pendant cette semaine avec toute l’équipe. On y allait tous de la vanne la plus nulle, j’adore !

Cinq d’entre nous feront de super résultats, dont moi qui prendrai l’or. Mais le stress pour cette finale m’aura plus que rattrapé, j’étais presque un légume avant de grimper!
Le seul moyen de ne pas m’évanouir dans la voie : partir comme une balle. Grace à un bon repérage plus tôt c’est faisable…
Je me présente au pied du mur comme une chiffe molle, on m’encorde.
Mais là, dès que je pose mes mains sur les premiers volumes, concentration et assurance surgissent.
Mes pieds décollent tous seuls comme aimantés pas les prises, rythmé et solide je monte jusqu’à 3 mouvements du top.
Je suis champion du monde, alors que 2 minutes plus tôt je n’y croyais pas une seconde!
Redescendu au pied de la voie, je prends toute l’équipe dans mes bras. On saute tous de joie!

Je fais ça pour moi bien sûr, mais aussi pour ma famille et mes amis. Je sais qu’ils m’ont suivis en streaming et qu’ils sont fiers de moi !

Pour finir ce petit récit, je voulais remercier tous mes proches et leur dire qu’ils me sont chers …

Et maintenant, retour en falaise!

4 réflexions sur « Petite histoire d’un champion du monde »

  1. Mon pote, car je peux dire mon pote,pour moi il y a des gens que l’on rencontre sur notre trajet et les choses sont simples, intenses et bien veillante…je suis vraiment le plus heureux du monde quand je lis cet article…t’avoir vu briller aux yeux de ta famille et juste cette histoire incroyable…j’ai bien fait de monter avec vous pour aller au France….
    Tu es champion du monde et sur un combat de folie avec des grimpeurs mutants comme urko et autres…bravo man, you rock it

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